1936. Imaginez un village normand en bordure de Seine, » modeste sans doute, mais dotE d’un cadre merveilleux « , accueillant, en EtE, des touristes, Epris de calme et de beautE et dont les journEes sont rythmEes par la rumeur continue de la chute d’eau du barrage et par le grondement sourd des trains qui franchissent le pont mEtallique du Manoir. C’est le village de Poses : Poses et ses doux brouillards de l’aube qui enveloppent le ciel, la terre et l’eau dans » une ouate impalpable « , avant que le paysage ne s’Eclaircisse et qu’apparaissent les maisons alignEes sur les rives ; Poses et son immense barrage, situE au pied de la côte des Deux-Amants, avec ses Ecluses – construites au titre des rEparations des dommages de guerre (1929-1933), sans que la navigation ait EtE interrompue un seul jour – qui peuvent soulever ou descendre, en quelques minutes, un remorqueur et dix pEniches chargEes à pleins bords ; Poses et ses à®les, par groupes et dissEminEes, qui, de loin, » semblent des navires pavoisEs de feuillage, reposant à l’ancre sur le fleuve majestueux « , merveilleuses oasis de fraà®cheur, favorables aux longues siestes, pendant les jours torrides, » quand l’air vibre, embrasE » ; Poses et son Eglise, nEe au XIIe siècle, dont les visiteurs peuvent admirer les fonts baptismaux en bronze ciselE, un retable à baldaquin, en bois dorE et un confessionnal du XVIIIe, ainsi qu’une vieille cloche à la voix puissante qui a sonnE pendant huit siècles. Etait-ce là un paradis champêtre dont RenE Dumontier composait le portrait fidèle, avec l’aide (inspirEe) des illustrateurs Marcel Niquet et Raphaà«l Brault, voici quelques dEcennies ? Voire. Ce » village sans hommes « , malgrE sa quiEtude et ses attraits, se voyait confrontE, comme tous les autres, aux rudesses de la vie quotidienne : la plupart de ses habitants Etaient mariniers et sur des remorqueurs et des pEniches, ils sillonnaient la Seine de Paris à Rouen (et inversement), tandis que les femmes remplissaient mille tâches indispensables au sein de la localitE. Pour ces navigateurs rudes, les dangers Etaient multiples, compte tenu de l’exiguà¯tE de la nappe liquide, du peu de profondeur du chenal Etroit et de la multiplicitE des obstacles. Le passeur, lui, entre deux appels – » Passeur ! Oh, hep, passeur ! » – taquinait inlassablement carpes et gardons, posant ses nasses au crEpuscule, de nombreuses barques apparaissaient sur la Seine, yoles de plaisance, bachots ventrus, canots plats et pErissoires lEgères, tandis que le père Mirvaux, ancien marinier, pêcheur lui aussi et fin gourmet, allait à la tâche, que les maà®tres-queux du village concoctaient les andouilles du cru, » pures merveilles gastronomiques « , dont le secret de fabrication Etait bien gardE et qu’un conteur comme RenE Dumontier, de retour d’une excursion avec Raphaà«l Brault, relatait devant un feu de bois la lEgende tragique des Deux Amants.© Micberth